Comment je me retrouve privé de RSA ou, l’honnêteté ne paie pas mais elle libère - publié le 18 juin 2016
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Comment je me retrouve privé de RSA ou, l’honnêteté ne paie pas mais elle libère
Ainsi donc, ça y est. Il y a deux mois déjà, j’avais été puni d’une réduction de 100€ sur le paiement d’avril (versé en mai) peut-être pour ne m’être pas présenté devant la CST de mars. La Commission de Solidarité Territoriale se réunit chaque mois pour statuer sur des dossiers, validant (ou pas) les contrats d’insertion qui lieront (ou pas) les bénéficiaires au payeur.
J’ai reçu le 17 mars la notification de réduction que je vous livre :
Nulle part dans cette lettre n’est clairement explicité ce qu’il advient dans le cas d’un foyer composé d’une personne seule. Nulle part il est écrit qu’à compter d’une date précise je serai radié de la liste des bénéficiaires et que les paiements seront interrompus. Pourtant, en me rendant sur le site de la CAF au cours du mois de mai, rubrique ’mes droits et mes paiements’ j’ai découvert que mes droits s’élevaient à O€ et qu’aucun paiement n’était prévu pour le mois de mai (versé en juin). Surprise ! J’ai lu et relu cet unique courrier daté du 17 mars pour y déceler les indices qui auraient pu me mettre sur la piste de cet effondrement soudain de mes droits à la portion congrue, mais je n’ai toujours pas saisi la périphrase, ou la contrepèterie, sensée m’annoncer nouvelle si incroyable ! …
J’ai donc pris contact avec la CST fin mai. Par téléphone, Mme Respaud a pu lever une partie du voile mystérieux qui s’épaississait autour de cette affaire : alors que j’étais invité, je ne suis pas venu à la CST du mois de mars : la commission a décidé de me sanctionner de 100€ de retenue. Et puis à la CST de mai je n’étais pas invité mais là, la commission a de nouveau étudié mon cas et a choisi de suspendre les versements et de me radier. Sans que je ne sois réinvité et sans même me notifier la-dite décision par courrier A/R. Notez qu’à ce jour je n’ai toujours pas reçu ce courrier que j’attends pour engager un recours … Donc, c’est au cours de la CST de mai que les membres présentes ont décidé la suspension pure et simple de mes droits.
Or, et c’est là que la chose devient cocasse, il se trouve que cette CST du mois de mai a été perturbée parCAFCA : le Collectif d’Autodéfense Face aux Contrôles de l’Administration. Plusieurs questions se posent alors. Si je faisais du mauvais esprit ou si je me sentais persécuté, je pourrais bien vite penser que les membres de la CST se sont vengées sur mon dossier du joyeux chahut social que leur faisait subir CAFCA ce jour là. Mais bien sûr cela relève de la paranoïa, alors une autre question me titille le parapheur. Dans quelles conditions a pu être prise cette décision de suspension totale dans le brouhaha provoqué par l’occupation des locaux par le collectif ? Les membres de la commission, peut-être, ont pu avoir le jugement quelque peu troublé, n’était-il alors pas plus sage de reporter à un moment plus propice l’étude – calme et sereine – des dossiers prévus ce jour là – dont le mien ?
Un autre éléments de taille me fut révélé par Mme Respaud au cours du même échange téléphonique : je n’étais pas à jour dans le story-telling de mon parcours d’insertion : je n’avais pas renouvelé mon contrat d’insertion. Le RSA, qui est un droit, reste en principe soumis à la signature d’un contrat – dans lequel le bénéficiaire s’engage à se réinsérer et le payeur (le conseil général) à lui verser un allocation de survie. Qu’à cela ne tienne, j’eus tôt fait d’effectuer la démarche et de resigner un contrat d’insertion fin mai pour que la CST de juin réexamine mon cas. J’ai même été de nouveau invité à la CST du 9 juin, toutefois de manière informelle puisque sans recevoir de convocation ; il fut convenu que je pouvais être accompagné mais si possible pas par CAFCA !…
Le 9 juin au matin je me rends donc à Pamiers en compagnie d’un ami dans le rôle d’observateur. Après quelques minutes passées dans le sas nous nous asseyons face à cinq femmes qui ne se présentent pas, devant lesquelles je suis sensé m’expliquer. Expliquer. Expliquer quoi ?
Que j’ai créé une activité en 2014 : petite restauration végétarienne – bibliothèque – galerie, que vu le contexte économique global et la politique locale d’accueil des touristes dans le village cette activité n’a pas généré les bénéfices escomptés ? Que j’ai dû y mettre un terme ? Que je ne veux plus alimenter un système arrogant et destructeur ? Que je veux vivre de ce que je crée :écrits, livres, mobiles et assemblages ? Que le monde change et que j’ai huit ans d’avance (selon elles et pourquoi 8 ans ?) lorsque je leur parle de revenu universel et sans condition ? Que je ne cherche jamais dans les projets que j’entreprends à faire des bénéfices mais à vivre simplement en faisant vivre des idées : les éditions Key largo, la librairie mobile, la grenouille jardin bibliothèque, Lumomana ? Que tout n’est pas quantifiable ? Que tout ne peut se vendre et s’acheter ?
Pour toute réponse à mes questionnements existentiels sur ce que c’est que ’travailler’ et agir dans le monde … elles m’ont invariablement opposé que si le RSA est un droit il implique des devoirs. Et que ces devoirs, même si cela n’est écrit nulle part sont à entendre comme devoir de soumission à un système : celui de se vendre pour être capable d’exister socialement. La palme kafkaïenne revient à la représentante de pôle emploi qui a entrouvert la seule porte de sortie honorable pour moi, selon elle : me résoudre à accepter un travail salarié alimentaire et reléguer mes prétentions ’artistiques’ au hobby que l’on pratique le dimanche. Pour me convaincre, elle va jusqu’à avouer qu’elle-même ne fait pas son travail de gaité de coeur, qu’elle n’en est pas épanouie mais qu’elle fait comme tout le monde, pour pouvoir comme tout le monde, payer son loyer et ses factures ! Je comprends alors toute la frustration qui l’anime.
Ainsi dans cette société il y a un secret partagé par beaucoup et qui m’avait échappé ! … : nous existons pour payer un loyer et des factures, c’est notre lot à toutes et tous et c’est pour ça qu’il faut bien travailler ! C’est curieux mais je ne vois pas le monde de cette façon ; ceci dit je comprends un peu mieux pourquoi je suis si mal adapté …
Si au moins j’avais menti. Si au moins j’avais présenté un projet, une histoire, un conte rassurant. Si j’avais fait semblant d’être intéressé par une formation pour gagner du temps, ou si j’avais pris le temps de poser les jalons d’une démarche présentant à plus ou moins long terme la perspective, même ténue, de faire des bénéfices avec mes violons d’Ingres j’aurais montré mon allégeance au système ! Mais là ! Exposer sans ménagement que certaines vies peuvent être consacrées à des recherches, des actes qui ne sont motivé-es par aucun profit ni rendement ! Quelle audace, quelle prétention ! Il parait que c’est là l’apanage des génies (toujours selon la représentante de pôle emploi) alors … existe-t-il une commission ’génies’ au conseil général chargée de statuer sur le sort de ces atypiques ? Non bien sûr.
Sur ce, quoiqu’elles m’aient paru quelque peu émues par mon argumentaire, aucune ne prit le moindre risque de dévier de la sainte mission dont elles ont charge ; les cinq membres de la CST présentes, d’un commun accord m’annoncèrent qu’elles ne faisaient qu’appliquer la loi, à savoir : pas de démarche d’insertion : pas d’allocation de survie.
Je suis sorti comme soulagé.
Aujourd’hui, que vais-je devenir ? Quelles perspectives s’offrent à moi ?
le suicide ? Privé de tout et détruit socialement je vais échapper à ce monde injuste dans lequel je ne trouve pas de place ? Evidemment que non. J’aime trop la vie ronde et ses magies fugaces, les courbures de l’espace et la joie des regards … si on me retrouve noyé dans une flaque, n’y croyez pas.
l’illégalisme ?
« Plus un homme travaille, moins il gagne ; moins il produit, plus il bénéficie. Le mérite n’est donc pas considéré. Les audacieux seuls s’emparent du pouvoir et s’empressent de légaliser leurs rapines. Du haut en bas de l’échelle sociale tout n’est que friponnerie d’une part et idiotie de l’autre. Comment voulez-vous que, pénétré de ces vérités, j’aie respecté un tel état des choses ? […] Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend. Le vol c’est la restitution, la reprise de possession. Plutôt que d’être cloîtré dans une usine, comme dans un bagne ; plutôt que mendier ce à quoi j’avais droit, j’ai préféré m’insurger et combattre pied à pied mes ennemis en faisant la guerre aux riches, en attaquant leurs biens. Certes je conçois que vous auriez préféré que je me soumette à vos lois ; qu’ouvrier docile et avachi j’eusse créé des richesses en échange d’un salaire dérisoire et, lorsque le corps usé et le cerveau abêti, je m’en fusse crevé au coin d’une rue. Alors vous ne m’appelleriez pas ’bandit cynique’, mais ’honnête ouvrier’. Usant de la flatterie, vous m’auriez même accordé la médaille du travail. Les prêtres promettent un paradis à leurs dupes ; vous, vous êtes moins abstraits, vous leur offrez un chiffon de papier. » Alexandre Jacob
« Il me faut vivre ma vie. […] J’ai le droit de vivre. Tout homme a le droit de vivre et puisque votre société imbécile et criminelle prétend me l’interdire, eh bien, tant pis pour vous tous. » Jules Joseph Bonnot
Cela ferait plaisir aux tenants de l’ordre moral que je me perde sur cette voie mais j’ai d’autres envies.
tenter de vivre de ce que je crée ?
Nous y voilà. Après tout il y a de la matière, tout dépend de la manière. Alors s’il existe quelque part un-e éditeur-trice indépendant-e prêt-e à se pencher sur mon berceau pourquoi pas ? J’aimerais rééditer Gabrielle ou la révolution relative et publier Le fantôme de l’auberge du diable et puis aller sur la côte basque pour lever une armée de galets, et puis écrire encore …
Si des musicien-nes, plastcien-nes ou autre ’génies’ asociaux ont envie de faire quelque chose avec moi pourquoi pas ?
Si un dessinateur, une dessinatrice est inspiré-e pour mettre en images mes histoires, si une bande d’affreux a envie d’en faire un film ou un spectacle prévenez moi !
Plus modestement je vais continuer à fabriquer des mobiles et des livres, à aller dans la rue, sur la place publique pour les vendre ou les troquer – cet été, si vous aussi vous faites des trucs passez donc et associons nous pour en vivre. Si vous êtes dans le coin ou si vous venez par là on se croisera peut-être au marché du mas d’Azil, de Montbrun-Bocage ou de Saint Girons. Car peut-être bien que Julian a raison et qu’il est temps d’entamer cette « boucle des marchés » sur les sentiers vernaculaires …