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Se soumettre, c’est se rendre complice - publié en février 2016
mercredi 3 février 2016, par
Se soumettre, c’est se rendre complice
D’habitude quand j’écris, je ne parle pas de moi, de ma vie, de ce qui m’arrive – ou alors à mots couverts – car cette sphère privée m’appartient et n’intéresse à priori que celles et ceux qui s’y égarent. Mais là, quand même …
Mardi 19 janvier aux environs de 15h je descends la rue du Faubourg au volant de mon véhicule lorsque j’aperçois plus bas trois hommes en bleu coiffés d’un bonnet assorti. Comme j’arrive à leur hauteur, l’un d’eux s’avance sur la chaussée et me fait signe de m’arrêter.
« Vous avez votre permis ? Me lance-t-il par la fenêtre ouverte.
Oui, les papiers sont à l’arrière ;
Garez-vous là, m’ordonne-t-il en désignant la place ponctuée de platanes. »
J’obtempère, je sors et j’attrape les papiers que je lui tends. Il ne vérifie ni la vignette d’assurance ni celle du contrôle technique sur le pare-brise et file dans sa camionnette avec ma paperasse pendant qu’un de ses collègues me fait souffler dans l’éthylotest : négatif. Quelques minutes passent. Sur la place se trouvent quelques connaissances qui observent la scène du coin de l’oeil. Je suis détendu : tous mes papiers sont en règle, je portais ma ceinture et je n’ai commis aucune infraction. Il finit donc par revenir, me rend mes papiers ; et m’apostrophe : « C’est quand la dernière fois que vous avez consommé des stupéfiants ? » La question me surprend, je le regarde étonné sans répondre, il enchaîne : « Vous avez des poches sous les yeux, j’ai un peu l’habitude. » Il insiste : « C’est quand la dernière fois ? »
J’aurais peut-être dû réagir plus vivement et m’en défendre : sa question à charge sous-entend qu’il est évident pour lui que je consomme des stupéfiants, mais je manque de répartie : je marmonne sans conviction alors le piège se referme : « Si je vous demande de faire le test il n’y a pas de problème alors ? » Quel test ? Pour quelle raison ? Le test salivaire utilisé pour rechercher des traces de stupéfiant chez un automobiliste est préconisé en cas d’implication du-dit automobiliste dans un accident, en cas de signe manifeste d’emprise tels que titubations, fou rire incontrôlable, en cas d’infraction ou bien sûr en cas de doute subjectif de l’officier de police … Je ne suis impliqué dans aucun accident, je n’ai commis aucune infraction. Le seul signe manifeste sur lequel se base cet homme se sont des poches sous mes yeux…. Le seul ?
A ce stade de mon témoignage, peut-être est-il utile de préciser un détail. Mon véhicule est un 409 aménagé : c’est aussi ma maison. Tiens ? Est-ce que par pur hasard cela pourrait constituer un signe manifeste d’usage de stupéfiants ? Est-ce que l’autocollant « la zad est partout » à l’arrière pourrait être un indice supplémentaire ?
Je relève le caractère arbitraire de son aimable proposition et je refuse le test. Me voilà donc invité à m’installer sur la banquette en skaï de la camionnette bleue, beaucoup moins cosy que la banquette en bois de ma maison roulante. Etrangement, je me sens plutôt à l’aise. Du moins détendu. Pas de palpitation, pas de stress. A nouveau il me propose le test. Je réitère mon refus, soulignant qu’il y a à mon avis une part de préjugé dans ses intentions. Mais si vous n’avez rien consommé, vous n’avez rien à craindre argue-t-il. Certes ! Tout comme on n’a rien à craindre d’être écouté, surveillé, fiché, profilé … si on a rien à cacher. Je lui explique que je refuse par principe, tout comme je refuserais un prélèvement ADN par exemple. Il insiste, m’explique que si le test salivaire est positif nous allons ensemble à l’hôpital où des infirmières sympas ont l’habitude de faire des prises de sang encadrées par des hommes armés en uniforme. Je refuse. « Au pire, si vous êtes positif sans antécédents vous risquez une amende, un retrait de points ou même un simple rappel à la loi. » Je refuse.
Le problème ici n’est pas de savoir si oui ou non je consomme des substances classées comme stupéfiants. D’abord cela ne regarde que moi. A la limite le corps médical dans un cadre approprié si je le juge nécessaire mais en aucun cas un officier de police judiciaire sur le bord d’une route. Quand à l’argument de la dangerosité d’une conduite sous effets, c’est un prétexte car un conducteur peut être décelé positif alors qu’il n’est plus sous effet depuis des heures. Ces contrôles plus ou moins ciblés déguisés en opérations de sécurité routière sont en réalité destinés à pêcher au filet pour attraper au petit bonheur la chance des usagers réguliers ou non de produits interdits. Pourquoi n’existe-t-il pas de test mettant en évidence la présence de barbituriques, anxiolytiques ou autres benzodiazépines : substances légales au moins aussi dangereuses pour la sécurité de tous sur la route ? Est-ce parce que les français-es, grands consommateurs de cette chimie prescrite et remboursée risqueraient de perdre leur permis à chaque coin de rue ?
Mi agacé, mi résigné devant mon entêtement à refuser, l’adjudant a donc fini par sortir les formulaires prévus à cet effet et les a rempli avec application. J’ai signé. La loi prévoit le retrait immédiat du permis et l’immobilisation du véhicule, il a donc gardé mon permis et m’a signifié que je pourrai récupérer la carte-grise à la gendarmerie locale si je m’y présente accompagné d’un tiers muni d’un permis valide. Puis, avaient-ils atteint leur quota quotidien ? Les trois gendarmes sont repartis quelques minutes plus tard.
Par ’chance’ cette mésaventure m’est arrivée dans un village que je connais bien et où j’ai quelques ami-es. J’ai donc pu me faire accompagner pour récupérer ma carte-grise, au bout de 48h tout de même puisqu’il a fallu viser une des deux fenêtres de deux heures par semaine pendant lesquelles la gendarmerie est ouverte au public.
Pendant ces heures d’immobilisation forcée j’ai eu le temps de lire la prose juridique qui se rattache à mon cas : « l’autorité préfectorale peut, dans un délai de 72 heures, prononcer une mesure de suspension de votre permis de conduire pour une durée n’excédant pas six mois. Cette décision vous sera notifiée soit directement si vous vous présentez au service indiqué au recto (rubrique 7) dans les 12 heures qui suivent l’expiration de ce délai de 72 heures, soit par lettre recommandée avec accusé de réception à laquelle sera jointe la copie de l’arrêté de suspension. […] – Dans le cas contraire et sans préjudice de l’application ultérieure des articles L.224-7 à L.224-9 du CR le permis de conduire vous sera restitué soit en vous présentant au service indiqué (rubrique 7) soit par lettre recommandée … etc … »
C’est ainsi que le samedi 23 me suis rendu au service indiqué (rubrique 7) pour : soit retirer l’arrêté de suspension préfectoral, soit récupérer mon permis. Vu qu’aucune mesure émanant de la préfecture n’était parvenue jusqu’aux bureaux de la brigade j’étais en droit de récupérer mon précieux papier rose, malheureusement, l’officier à qui j’avais eu affaire n’étant pas présent et les fonctionnaires n’étant pas interchangeables et polyvalents comme je le pensais il a fallu que je revienne le lundi matin pour que me soit remis, avec un brin de crispation, ma paperasse.
L’histoire ne s’arrête pas là. Comme prévu par la procédure, j’ai été entendu le vendredi 29 par l’officier qui m’avait arrêté pour m’expliquer sur les raisons de mon refus. J’en suis resté au caractère arbitraire du contrôle et après une heure d’un échange cordial et froid il m’a été signifié que j’étais convoqué au mois d’avril devant le substitut du procureur pour un rappel à la loi. En attendant, la mesure de suspension préfectorale était tombée : six mois, c’est à dire le maximum, sans doute pour se venger d’avoir été pris en défaut. Ceci dit, je n’ai toujours pas reçu la lettre recommandée qui me notifie cette suspension. Ainsi, n’étant pas poursuivi par la justice je n’aurai ni amende ni condamnation et il est possible que je puisse contester la mesure préfectorale de suspension.
Ce témoignage est livré à titre d’exemple. Chaque cas est particulier. Mais il montre au moins que ne pas se soumettre à un test salivaire reste possible, ne pas se soumettre à un contrôle arbitraire reste possible. Et au delà de mon cas particulier, cette mésaventure me conduit à m’interroger, à me demander dans quelle mesure une autorité quelle qu’elle soit – ici celle de l’état – ne puise-t-elle pas sa force dans la soumission volontaire que nous lui accordons … ? Au fond, la puissance d’une autorité n’est-elle pas proportionnelle au degré de soumission que nous lui accordons volontairement ?
David Vial – février 2016